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Les Entours

Jean-Christophe Nourisson 1997

 

 

. . . Le hors nĠest pas un autre espace situŽ au delˆ dĠun espace dŽterminŽ, mais il est le passage , lĠextŽrioritŽ qui lui donne accs - en un mot : son visage , son eidos. Le seuil, en ce sens, nĠest pas autre chose que la limite; cĠest pour ainsi dire lĠexpŽrience de la limite mme, de lĠtre - dans un dehors. . .  Giorgio Agamben

 

InvitŽe par lĠ Institut de DŽveloppement Artistique, Claire Maugeais a rŽalisŽ une intervention sur un b‰timent public : la FacultŽ des Lettres dĠAix en Provence.

Une lecture attentive de la faade principale laisse transpara”tre quelques indices sur les intentions qui ont prŽvalu pour lĠŽrection du b‰timent construit dans la premire moitiŽ des annŽes 1960. Ce b‰timent de 6 Žtages prŽsente quelques curiositŽs. Du rez-de-chaussŽe au deuxime Žtage, la faade donne lĠillusion de sĠtre retirŽe derrire un simulacre de colonnes portantes rŽunies entre elles par un arc bombŽ, tandis que le dernier Žtage est parcouru dĠune galerie couverte, autant dĠŽlŽments ornementaux en contradiction avec le dogme moderniste encore en cours ˆ lĠŽpoque.

 

LĠintervention prend en compte la totalitŽ dĠun b‰timent en privilŽgiant les seuils. Trois sas vitrŽs de la facultŽ ont ŽtŽ provisoirement obturŽs par une pellicule de papier supportant des images photocopiŽes. Les trois sas choisis par lĠartiste peuvent tre perus comme trois rŽpartiteurs fonctionnels. En effet, lĠun est lĠentrŽe principale de lĠUniversitŽ, le second  mne les Žtudiants ˆ la citŽ universitaire et le troisime, enfin, communique avec la cafŽtŽria.

Enseigner-apprendre, dormir ou manger.

Les espaces de communication entre lĠintŽrieur et lĠextŽrieur rŽvŽlŽs ˆ la limite du b‰timent questionnent lĠusage de lĠarchitecture.

 

A chacun des sas correspond un montage singulier.

La proposition prŽsente des b‰timents contemporains, montŽs de tel sorte quĠils reconduisent un horizon improbable, qui vient se superposer ˆ une rŽalitŽ prŽexistante: un parvis, un passage entre deux b‰timents, une liaison. Si les premiers travaux de Claire Maugeais interrogeaient encore lĠ aporie de lĠarchitecture moderne, ici les images proposent des visions dĠ architecture post-moderne: Un Building dĠ Hiroshi Hara ˆ Osaka voisine  avec un b‰timent ˆ la gloire du Rock and Roll dĠ I. M Pei ˆ Cleveland. Leur image est dans le passage conduisant ˆ la cafŽtŽria, rŽunis en un tour du monde architectural ˆ la FacultŽ dĠ Aix en Provence qui reconstitue un ÒailleursÓ .

 

LĠinstallation  diffractŽe en trois parties distinctes fait appel ˆ une reconstruction mentale hypothŽtique. La visibilitŽ de celles-ci contraint le visiteur ˆ un parcours ˆ lĠintŽrieur de la FacultŽ. En traversant de sombres couloirs de souricire, nous dŽcouvrons des  informations de diverses natures : des numŽros de porte, des intitulŽs de dŽpartements, dĠenseignements, des heures de cours ou encore, des prochaines manifestations politiques ou culturelles. LĠoeuvre fonctionne comme un rŽvŽlateur de rŽalitŽ qui nous amne ˆ rŽŽvaluer lĠespace que nous traversons; cela est particulirement sensible dans la pice qui articule la liaison avec les citŽs universitaires.

Sur chacun des murs latŽraux de nombreuses affiches plus ou moins lacŽrŽes  font appara”tre la vŽtustŽ du b‰timent alors que la pauvretŽ de la photocopie se prŽsente comme luxueuse .

La finesse du papier laisse passer une partie de la lumire dans la journŽe, une lumire filtrŽe traverse les photocopies, crŽant un effet de caisson lumineux, tandis quĠ ˆ lĠextŽrieur nous ne percevons que des vitres blanches.

La nuit, cĠest lĠintŽrieur qui est totalement opaque.

Le montage et la matŽrialitŽ du support papier sĠen trouvant redoublŽs, tandis que de lĠextŽrieur le motif devient perceptible, transformant lĠarchitecture, elle-mme, en support de projection. Cette lisibilitŽ double face, prise en compte depuis lĠinstallation rŽalisŽe au MAC en 96, perturbe notre relation ˆ la reprŽsentation.

La fentre, utilisŽe abruptement comme support dĠexposition, contredit lĠusage mŽtaphorique de la reprŽsentation en peinture.

 

LĠinterrogation sur la ville dŽveloppŽe par Claire Maugeais depuis les premiers collages fabriquŽs ˆ Wuppertal  en 1989 qui pose lĠartiste acteur au sein dĠune collectivitŽ urbaine, a trouvŽ depuis la premire installation murale ˆ la Galerie Sequenz (Francfort 1993) de nouveaux champs dĠapplications.

Elle rŽalise des collages directement sur les murs, sur les espaces vitrŽs des lieux qui

accueillent son travail pour une durŽe temporaire. Dans un jeu de renvoi multiple, le support du travail est aussi le point de dŽpart et de retour du questionnement.

En 1989 elle visite les maisons de Mies Van Der Rohe ˆ Krefeld. Elle construit des maquettes des deux villas et projette une installation murale qui dŽconstruit la circulation de la maison. Tafuri et Dal Co Žcrivent ˆ propos de la Hubbe Haus (Magdeburg 1935) du mme Mies: ÒLa nature devient une partie du dŽcor, un spectacle dont on jouit seulement comme un lointain insaisissable. LĠimbrication  entre  lĠintŽrieur et  lĠextŽrieur Žtait considŽrŽe comme illusoire : La nature  pouvait tre remplacŽe sans  aucune difficultŽ par un photomontage Ò.  LĠaffirmation de ces historiens  pousse ˆ ses consŽquences extrmes le systme de pensŽe de Mies qui se tiendra ˆ la vertu mŽtaphorique du rideau de verre.

 

Claire Maugeais pose le panorama comme une rŽpŽtition, ŽclatŽe en trois lieux, convoquant le spectateur ˆ des moments distincts.

Chacun des trois photomontages est  exŽcutŽ gr‰ce ˆ la constitution dĠune bande paysagre montŽe en boucle. LĠespace de reprŽsentation fabriquŽ devient de la sorte multifocale. La perception ˆ lĠŽchelle du regard nous permet dĠembrasser un ŽvŽnement  dupliquŽ.

Ici et ailleurs cĠest toujours le mme, cĠest ˆ dire la mme image qui revient.  Le r™le Žducatif et propagandiste du panorama (architecture circulaire, rŽception collective et simultanŽe de la restitution dĠun point de vue unique), tel quĠil put tre mis en scne pour le pavillon Edison ˆ la foire internationale de New-York en 1939 sous le titre la Ville Lumire, reoit ici sa critique fondŽe. 

 

La ville, que prŽsente Claire Maugeais est duplicable ˆ lĠinfini.

LĠimage ruinŽe, rŽsultante du processus mŽcanique de fabrication nous rappelle ˆ la juste distance quĠil faut lui accorder.

LĠimage sans le geste ne mŽriterait quĠune attention passagre.

Ce quĠil en est de lĠimage :  le choix du point de vue de lĠartiste nous indique la relation que celle-ci et que les visiteurs pourront  avoir ˆ son sujet. Ici, la vue, en lŽgre contre-plongŽe, plus ou moins accentuŽe, prend la FacultŽ en Žtau, lĠhorizon qui sĠy dŽveloppe est urbain jusquĠ ˆ lĠ Žcoeurement.

Ce photomontage ne laisse aucune place ˆ un lointain autre quĠurbain.

 

La ville encercle la ville, semble nous souffler ces images.  La campagne est elle-mme une dŽpendance annexŽe dans le champ dĠinteraction de plusieurs villes. Le nez sur la dernire Skyline nous pourrons  dire :  - lĠailleurs est ici.